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    Réveillons-nous : construisons plutôt de l’intelligence collective !

     

     Au moment où chacun se pose nombre de questions sur la sortie de la situation de confinement dans laquelle nous sommes.

     Au moment où l’on attend avec autant d’impatience que de réactivité la « bonne parole » de nos instances dirigeantes, eux-mêmes sous la mainmise de l’éminence scientifique.

     Quelle place nous est donnée, à nous simples citoyens, excepté une nouvelle fois d’obéir sagement aux injonctions ?

    Ne sommes-nous pas nous-mêmes des acteurs lucides et responsables du monde économique et social ?

    ...

    C’est ainsi que m’est venue l’envie de vous livrer un extrait de mon dernier livre « Désobéir est parfois un devoir »

     

    Nous pourrions nous demander pourquoi cette organisation pyramidale, cette structure hiérarchique, cette autorité suprême qu’exercent quelques-uns sur l’ensemble des individus s’est imposée un peu partout dans nos sociétés, sachant qu’elle a aussi, aujourd’hui, pénétré toute l’organisation sociale. On obéit à son chef. On attend les ordres de son supérieur. On obtempère à son président. Et, comme disait mon père, bien marqué par son époque, « la discipline fait la force principale des armées ». Autant d’expressions qu’on peut entendre quotidiennement et qui ont imprégné, marqué au fer rouge notre histoire.  [...]

    On constate bien les difficultés de ce système à se modifier en fonction des circonstances et sa vision réductionniste ne permet pas d’envisager les différents types de situations. Mais ce qui pose sans doute le plus de difficultés à celui-ci, c’est le manque de parole, de pouvoir attribué au fameux corps social, les subalternes, les ouvriers, les employés. Une idée première a sans aucun doute été omise volontairement par nos pouvoirs en place, c’est le principe d’entraide, dénoncé d’ailleurs par Pablo Servigne et Gauthier Chapelle qui font appel à Pierre Kropotkine qui, dans « L’Entraide » (L’Entraide, un facteur de l’évolution.) évoque justement « l’entraide dans la mesure où elle est vue comme un produit de l’évolution, ne nécessitant pas l’intervention d’une autorité centrale pour se déployer. » En effet, ce système a induit une acceptation passive qui entraîne un empêchement de parole des différents acteurs. Et comme le rappellent Gori et Laval, « Toute cette organisation est malgré tout basée sur un manque de confiance total dans l’individu, la personne. L’organisation, destinée à permettre aux individus de se structurer eux-mêmes pour gagner en efficience, est totalement niée au profit d’une planification ordonnée de manière injonctive par les chefs, les patrons, les inspecteurs, aux ordres de l’organisation pyramidale. » (L’appel des appels, un an après, 22/12/2009).

    Alors que pouvons-nous opposer à une organisation fondée sur la subordination ? Des rapports de domination, de pouvoir pour certains, et par là-même de soumission et de déresponsabilisation pour d’autres. Sont-ils susceptibles de construire des rapports humains fondés sur des principes d’égalité, de fraternité, d’émancipation ? Le seul moyen est donc de s’arracher de ce piège bien confortable pour tous. On sait que le fait de faire des choix dans la vie s’avère, du moins au début, inconfortable, voire insécurisant. Et pourtant, n’est-ce pas Cyril Dion qui nous dit que « choisir est épanouissant. Inventer est fichtrement excitant. Sortir du conformisme renforce l’estime de soi. Être bien dans ses baskets est contagieux. Résister en ce début du XXIe siècle commence par refuser la colonisation des esprits, la standardisation de l’imaginaire. » (Petit manuel de résistance contemporaine)

    De nombreuses expériences existantes montrent, en effet, que des organisations fondées sur l’intelligence collective s’avèrent tout à fait pertinentes et efficaces, et cela, dans le respect des individus et la promotion de valeurs. On y retrouve quelques principes éprouvés et fort éloignés du modèle hiérarchique, notamment la reconnaissance de la participation, de la responsabilisation, de la coopération, de la démocratie. Il s’agit le plus souvent d’organisations horizontales issues de l’idée même de coopération. Chapelle et Servigne, en s’appuyant sur les dernières recherches dans le domaine, affirment que «lorsque certaines conditions sont réunies, des groupes d’usagers sont parfaitement capables de s’auto-organiser, se fixer des règles et de bien gérer leurs ressources. » (L’entraide, l’autre loi de la jungle) De nombreux chercheurs se sont attelés à ces fameuses conditions et ont pu identifier un certain nombre de principes fondamentaux. Sans les reprendre tous, on peut en relever quelques-uns déjà identifiés par Chapelle et Servigne : le sentiment d’égalité, d’équité et donc de confiance, la question de la sécurité dans le groupe, le sentiment de justice, le rapport à l’environnement, etc.

    Les premières coopératives sont d’ailleurs nées en réaction à la révolution industrielle qui entraîna misère et transformation sociale. Les Scop sont issues de cette histoire. Sociétés coopératives et participatives, elles sont nées des premières associations ouvrières au XIXe siècle, dans la clandestinité. Là aussi, des principes forts sont de mise comme le refus de la subordination économique ou salariale, l’adhésion volontaire et ouverte à tous, le pouvoir démocratique exercé par les membres, la coopération entre les coopératives, l’engagement envers la communauté, etc. Il s’agit donc d’un système économique et social visant à promouvoir des valeurs telles que le développement de l'autonomie, le fait de favoriser des relations interpersonnelles positives, le remplacement de la compétition par l'entraide, l’encouragement d’une plus grande prise de responsabilité de l'élève dans l'acquisition de ses apprentissages, la formation des élèves au travail d'équipe en atténuant les inégalités, etc. [...]

    Il apparaît donc tout à fait possible de construire des organisations au cœur de la société, pour lesquelles le sens de l’humain prend encore sens et l’exercice réel de la démocratie, de la coopération, de la responsabilisation, de la participation, puisse se vivre au quotidien. C’est alors, sans aucun doute, que nous pouvons sortir de la spirale infernale du travail aliénant, celui que l’on exerce pour subsister, pour survivre dans cette société de l’argent et de la consommation. Nous pourrons alors peut-être approcher la notion de travail émancipateur, celui que l’on exerce parce qu’on l’a choisi, qui est susceptible de nous valoriser, de nous libérer, de nous faire exister pour ce que nous sommes et ce que nous voulons être avec les autres.

    Nous ne sommes plus alors dans l’exploitation par des individus qui ont réussi vis-à-vis d’un corps social bien souvent anonyme et si peu valorisé. Mais il est question, dorénavant, de faire œuvre d’intelligence collective au sein d’une organisation horizontale et collégiale pour prendre toute sa place dans son entreprise, son association, sa coopérative, son service public. On peut reprendre les propos de Chapelle et Servigne, qui, dans la conclusion de leur ouvrage, nous disent que « le périlleux chemin vers l’entraide institutionnelle gagnerait à s’accompagner d’une structure politique la plus horizontale et décentralisée possible, ainsi que du développement des capacités d’altruisme et de compassion de chacun. »

     

    le 23 avril 202O

    François Le Ménahèze, Désobéir est parfois un devoir. Récit et analyse d’une désobéissance enseignante . Éditions Libertaires, 2020.

    Blog : http://lemenahezefrancois.eklablog.co

     

     

     

     


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