• Parution livre "Désobéir est parfois un devoir"

    Livre en préparation "Obéir, désobéir?"Livre en préparation "Obéir, désobéir?"Livre en préparation "Obéir, désobéir?"

     Photo publiée avec l'accord des parents

     

    Préambule

     

    A quel moment décide t-on de désobéir ? Est-ce un acte prémédité, préparé soigneusement, réfléchi de longue haleine et à coups de principes ? A moins que, telle la trombe d’eau un soir d’été, la désobéissance nous tombe dessus sans crier gare. S’agit-il d’un contexte singulier, d’une situation particulière nous entrainant, un jour, à dire NON ? Toutes les réponses sont bien sûr imaginables. L’acte de désobéissance peut adopter les configurations les plus protéiformes possibles. Mais pour Biberfeld et Chambat aucune hésitation, pour un fonctionnaire d’État « désobéir, c’est désobéir à l’État dont on est, qu’on le veuille ou non, un rouage. C’est remettre en question la loi qu’on est censé appliquer. C’est réimposer l’humanité dans une institution aveugle et sourde. »1 Le paradoxe attenant au principe de désobéissance apparait clairement. Le fait de franchir la ligne rouge de manière lucide et affirmée pour tenter de regagner la ligne verte, la sienne et celle pour laquelle on œuvre.

     

    Au sein d’une société dans laquelle s’est insidieusement développé un individualisme certain, couplé d’une transformation radicale des luttes collectives, est-ce vraiment la désobéissance qui pose problème ? La question posée ne serait-elle pas plutôt liée au principe d’obéissance ? N’est-ce pas celle-ci qui pose problème aujourd’hui ? Une obéissance qui permet le plus souvent aux castes dites supérieures d’imposer leur loi aux soi-disant petites mains. En effet, pratiquement tous les travailleurs sont soumis aux mêmes petits chefs. Pour que le système fonctionne, on y a attaché les directeurs des ressources humaines ou autres courroies de la sphère hiérarchique. Cette réalité rejoint le réel problème qui subsiste à ce jour et qu’évoque fortement Howard Zinn2 qui nous dit que « la désobéissance civile n’est pas le problème. Notre problème c’est l’obéissance civile. Notre problème c’est l’obéissance, partout sur la planète, aux diktats des leaders [] et des millions sont morts à cause de cette obéissance. Notre problème c’est que des gens sont obéissants quand la pauvreté, la famine, la stupidité, la guerre et la cruauté ravagent le monde. Notre problème c’est que les gens sont obéissants alors que les prisons sont pleines de voleurs à la tire, et que les plus grands bandits sont aux commandes des pays. C’est ça notre problème. » Zinn nous entraine vers un changement radical de paradigme que reprend d’ailleurs Frédéric Gros3 dans son dernier ouvrage . Il y pose en effet comme point de départ que notre monde va de travers, à tel point que lui désobéir devient une urgence partagée et brûlante. D’où son appel à la démocratie critique et à la résistance éthique. Il y pose la question de la désobéissance à partir de celle de l’obéissance « parce que la désobéissance face à l’absurdité, à l’irrationalité du monde comme il va, c’est l’évidence. Elle exige peu d’explications. Pourquoi désobéir. Il suffit d’ouvrir les yeux. La désobéissance est même à ce point justifiée, normale, que ce qui choque, c’est l’absence de réaction, la passivité. »4 Il ne s’arrête d’ailleurs pas là, évoquant les motifs qui auraient dû, depuis longtemps, susciter notre désobéissance : le creusement des injustices sociales, des inégalités de fortune ; la dégradation progressive de notre environnement ; le processus contemporain de création des richesses. Analyse impitoyable de notre époque. Et il ne s’arrête pas là ! « Parler d’injustice est devenu obsolète. Nous sommes à l’âge de l’indécence [] Le nouveau capitalisme est devenu un mode de création des richesses par la dette et la spéculation qui disqualifie le travail, exténue les forces et le temps. [] 

    L’enrichissement se fait au détriment de l’humanité à venir. »5 Cette façon d’envisager le concept d’obéissance peut apparaître surprenant mais il n’est pas nouveau. Étienne de La Boétie, il y a quelques siècles, nous avait déjà montré la voie à travers son discours de la servitude volontaire, posant déjà la question de la légitimité de toute autorité sur la population tout en analysant les raisons de cette soumission. « C’est un extrême malheur d’être sujet à un maitre, duquel on ne se peut jamais assurer qu’il soit bon, puisqu’il est toujours en sa puissance d’être mauvais quand il voudra. »6 Il y mettait déjà en question le lien entre domination et soumission, celui-ci ne pouvant fonctionner qu’avec la collaboration des individus, qu’elle soit active ou résignée.

    1. Biberfeld L, Chambat G. (2012). Apprendre à désobéir – Petite histoire de l’école qui résiste. Éditions CNT-RP. p. 22.

    2. Howard Z. (1922-2010) est auteur de nombreux ouvrages importants dont l’incontournable Histoire populaire des Etats-Unis, de 1492 à nos jours. Formé à la lutte des classes dans les rues du New York, il s’engagera toute sa vie contre la logique de guerre. Il prendra une part active dans les mouvements pour les droits civiques des noirs américains, contre la ségrégation raciale. La pratique de la désobéissance civile qui traverse les Etats-Unis des années 50 et 60 marquera la pensée de Howard Zinn. Cet extrait est issu d’un discours prononcé en 1970 lors d’un débat sur la désobéissance civile.

    3. Professeur à Sciences Po. Paris de pensée politique. Auteur, entre autres, de Etats de violence (2006), Marcher, une philosophie (2009), Le Principe Sécurité (2012).

    4. Gros F. (2017). Désobéir. Albin Michel, Flammarion. p. 17.

    5. Ibid, pp. 14-16

    6. de La Boétie E. Discours de la servitude volontaire. 1576 - réédition 2002 petite bibliothèque Payot, Paris. p. 4.

     

  • à côté des ouvrages sur la désobéissance...

    dans la belle librairie de la cité fortifiée de Larressingle (Gers)

    Désobéir est parfois un devoir

    Sortie officielle du livre "Désobéir est parfois un devoir".

    Celui qui lutte n’est pas sûr de gagner, mais celui qui renonce à déjà perdu !

     Bertold Brecht


    L’insurrection ne se décide pas. Elle saisit un collectif, quand la capacité à désobéir ensemble redevient sensible, contagieuse, quand l’expérience de l’intolérable s’épaissit jusqu’à devenir une évidence sociale.

     Frédéric Gros

     

    La désobéissance civile n’est pas le problème. Notre problème c’est l’obéissance civile. Notre problème c’est l’obéissance, partout sur la planète, aux diktats des leaders.

     Howard Zinn

     

    Préambule

     A quel moment décide-t-on de désobéir ? Est-ce un acte prémédité, soigneusement préparé, réfléchi de longue date sur la base de principes ? A moins que, telle l’averse soudaine, la désobéissance nous tombe dessus sans crier gare. Est-elle le résultat d’une situation particulière nous entrainant, un jour, à dire NON ? Toutes les réponses sont bien sûr imaginables. L’acte de désobéissance peut adopter les configurations les plus diverses possibles. Pour Biberfeld et Chambat1 aucune hésitation, pour un fonctionnaire d’État « désobéir, c’est désobéir à l’État dont on est, qu’on le veuille ou non, un rouage. C’est remettre en question la loi qu’on est censé appliquer. C’est réimposer l’humanité dans une institution aveugle et sourde. » Le paradoxe attenant au principe de désobéissance apparait clairement. Le fait de franchir la ligne rouge de manière lucide et affirmée pour tenter de regagner la ligne verte, la sienne, et celle pour laquelle on tente d’œuvrer au quotidien.

     

    C’est à travers ce paradoxe que je me suis rendu compte que j’entrai, inexorablement, en désobéissance. C’est donc en tant qu’enseignant-formateur mais aussi, et surtout, comme être humain, que je me suis retrouvé pris dans ce tourbillon. Après trente années de « bons et loyaux services » dans ce métier, devenu entre-temps militant pédagogique dans le mouvement Freinet et formateur à l’IUFM2, je suis devenu ce qu’on a dénommé un « enseignant désobéisseur ». Il est vrai que je disposais déjà, dès les prémices dans ce métier, d’une fibre militante qui m’a amené à me former à la pédagogie Freinet, aux pédagogies coopératives, et d’entrer dans des groupes de travail autour de ces pédagogies. Je savais, en tout cas, de quelle École je ne voulais pas. Je l’avais subie toute ma jeunesse, durant ma formation, j’avais pu constater qu’on y retrouvait le même ennui, les mêmes humiliations. Il n’était donc pas question pour moi de reproduire une telle École. Je pense que je désirais déjà faire vivre une école humaine, fraternelle, citoyenne, empreinte de coopération et d’intérêt au sein de ce tryptique « élève – savoir - enseignant ». C’est donc la voie que je pris, celle de la passion pédagogique, de la co-formation entre enseignants, d’une École émancipatrice. Mais cela ne me suffisait pas. Les constats s’avéraient limpides, cette École poursuivait son œuvre de sape, empreinte de conformation des esprits, de besogne et d’inégalités en tout genre. « Des têtes bien pleines... plutôt que bien faites ! »

     

    C’est donc tout naturellement que je me dirigeai dans la formation des futurs enseignants. Pas si aisé quand on est déjà repéré comme enseignant « dérangeant » ! Heureusement, dans cette grande institution qu’est l’Éducation nationale, des opportunités peuvent apparaitre. Une collègue avec qui j’avais déjà travaillé à l’université est arrivée à la direction de l’IUFM. Son objectif était clair, engager une pluralité d’approches dans la formation et permettre à des enseignants, d’être force de propositions face aux défis de l’École (difficultés scolaires, gestion de l’hétérogénéité des classes, sens dans le travail, gestion de l’autorité, motivation des élèves, etc) et de pouvoir agir au cœur de la formation. Malgré des contraintes institutionnelles liées au cahier des charges abscons de la formation, ce furent des années passionnantes qui permirent aux enseignants en formation d’entendre parler, voire être formés sur des approches pédagogiques radicalement différentes et sur des problématiques qu’ils allaient rencontrer à coup sûr dans leur carrière.

     

    Après toutes ces années au service de l’École publique, des enfants et de leurs parents, comment me suis-je retrouvé ainsi poussé à désobéir de manière déclarée, ouverte ? Contrairement à la pensée ambiante, nous désobéissons tous plus ou moins dans ce métier, mais le plus souvent de manière détournée, cachée. Mais dans ce cas, pour moi, ce n’était plus possible ! Déjà largement usé par l’enchainement des réformes et des injonctions contradictoires de l’institution Éducation nationale, je décidai, avec d’autres enseignants de dire stop. C’en était trop ! Évaluations nationales avec remontées de statistiques et primes à la clé pour les enseignants, fichages des élèves via un fichier Base élèves, heures supplémentaires pour les élèves en difficulté, etc. La besace était pleine. Alors directeur d’école, en accord avec une partie de mon équipe et d’enseignants du département, du pays, nous décidâmes de ne pas nous soucier de ces nouvelles mesures. Non pas pour le simple fait de désobéir mais dans la simple conformité à notre éthique professionnelle qui s’appuie sur une responsabilité et une lucidité relatives aux valeurs inhérentes à ce métier. C’est ainsi que l’affrontement avec l’administration débutait. Cette prise de position tient sans aucun doute à un positionnement philosophique et pédagogique de notre part mais une grande partie tient tout simplement au respect de l’humain, des enfants qui nous sont confiés.

     

     J’aurais pu ici prendre n’importe quel exemple de désobéissance. Les situations en la matière sont nombreuses. Mais je me suis penché sur le milieu que je connais le mieux, une sphère normalement aux antipodes de la désobéissance, celle du monde de l’École. C’est le cadre même de l’obéissance au sein duquel des élèves doivent obéir à des enseignants porteurs de savoir et d’autorité ? Comme d’ailleurs l’enseignant qui se doit, en tant que fonctionnaire d’État, d’obéir aux ordres de sa hiérarchie. Nous sommes donc au cœur du monde de l’obéissance. Alors, lorsque des enseignants décident, en leur conscience, au nom de leur éthique professionnelle, de ne plus se soumettre, on ne peut qu’être décontenancé. Les raisons en sont pourtant simples. Il devient impossible, pour ces mêmes enseignants, d’observer l’obéissance lorsque l’État lui-même remet en question leurs valeurs premières, leurs propres missions.

     Ce présent ouvrage aborde le point de vue des enseignants désobéisseurs, et plus largement, cette vaste question des rapports de soumission/domination.. Pourquoi, et comment, construire un monde éducatif, une société, une vie, autour des valeurs de respect, de dignité, de liberté, de responsabilité, de solidarité ? Tels sont les enjeux qui m’ont amené à engager une réflexion sur le sujet, à la fois à partir de ma propre expérience, mais aussi par les recherches que j’ai pu mener dans ce domaine. Ce travail m’a permis d’élargir mon champ d’action et ainsi de pouvoir apporter quelques éléments qui, je l’espère, seront transférables à tout milieu, à tout terrain d’action, de pensée. Autant nous sommes un certain nombre d’enseignants, d’éducateurs à trouver qu’il est temps que l’École réapprenne à penser, à reconstruire des instruments de pensée ; autant nous pouvons sans doute tous parvenir à ce que nos métiers, nos vies deviennent, ou redeviennent, des outils pour penser. Les travaux de Rabardel autour du sujet capable et du pouvoir d’agir vont tout à fait dans ce sens.3 « Pour le sujet capable, l’activité cognitive est subordonnée, d’une certaine façon, gouvernée par l’agir »4. Devenir, re-devenir un sujet capable pour pouvoir agir sur sa vie, son environnement, la société, voilà un bel enjeu pour tout être humain !

     

    Dans une première partie j’ai tenté de dégager quelques points-clés. Nous les nommerons piliers de l’obéissance. Ils constituent les instruments de soumission des individus face au pouvoir. Ils composent l’essence même du pouvoir, du contrôle de quelques individus sur d’autres et instaurent, par là-même, l’un des pires maux de nos sociétés, l’inégalité entre les êtres humains. Je décrirai ces instruments de pouvoir qui ont permis, à travers notre histoire, aux divers gouvernants d’agir et de soumettre. Je présenterai ensuite ce qui a façonné la résistance collective des enseignants désobéisseurs puis je tenterai de vous faire vivre de l’intérieur ce qui a construit ma propre désobéissance. Dans l’idée de transférabilité, je poserai également les différents registres qui peuvent animer une désobéissance, du plus prudent au plus périlleux. Et, enfin, je proposerai ce qu’on aurait pu appeler les piliers de la désobéissance, non pas pour rester dans le « non jusqu’au-boutiste », mais bien pour explorer, voire poursuivre des pistes qui nous engageront à construire à partir du collectif, de la responsabilisation, des valeurs, un semblant d’intelligence coopérative. Sans oublier la formation, qui reste esssentielle si l’on veut pouvoir se sortir du conformisme ambiant et développer des attitudes, des compétences, des savoirs qui doivent pouvoir nous faire passer du statut d’agent passif au sujet capable susceptible d’exercer son pouvoir d’agir.

    1. Biberfeld L, Chambat G. (2012). Apprendre à désobéir – Petite histoire de l’école qui résiste. Éditions CNT-RP. p. 22.

    2. IUFM, sigle pour Institut Universitaire de Formation des Maitres. Ils ont remplacé les Écoles Normales destinées à former les instituteurs. Créés en 1990 ils avaient une double vocation, préparer aux concours de l'enseignement et former les futurs professeurs stagiaires. Ils ont été eux-mêmes remplacés en 2013 par les ESPE, Écoles Supérieures du Professorat et de l’Éducation.

    4. Rabardel P. Instrument subjectif et développement du pouvoir d’agir. Modèles du sujet pour la conception – Dialectiques activités développement. Rabardel et Pastré (s/d). Octares. 2005. p. 12.

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