• Résister pour une Autre école

    Intervention dans le cadre d'un congrès ICEM-Pédagogie Freinet

     

    Article paru dans la revue "N'Autre école"

     

    Une autre école est possible : s’engager, résister, agir

    Résister pour une Autre école Résister pour une Autre école

    Je crois que mon engagement a commencé dès le début de ma carrière. Je ne me voyais pas enseigner comme je l’avais vu faire durant mes trois années d’École normale (eh oui, c’était le « bon temps », une autre époque sans doute !).

    Enseigner ex cathedra à des enfants considérés uniquement comme élèves à qui l’on demande d’ingurgiter, d’obéir, éventuellement de réfléchir dans le strict tempo et l’espace donné par l’enseignant, ne me paraissait déjà pas envisageable. Ce n’était pas comme cela que je voyais ce métier… et je ne voulais surtout pas reproduire ce que j’avais subi (et souffert) durant toute ma scolarité. Passivité, ennui, acculturation, manque d’estime de soi et de confiance, voici ce que j’avais retenu de celle-ci. Alors, ne me parlez pas de reproduire ce cadre que l’on sait largement aujourd’hui ne profiter qu’à certains, et évidemment toujours aux mêmes !

    Heureusement, j’avais découvert, un peu par hasard, aux détours de ma formation, la pédagogie Freinet. Je savais alors ce que je voulais de l’École, de la place que je comptais prendre et que je comptais donner aux enfants qui m’étaient confiés. Cet engagement, je le pris déjà au cours de ma formation en consacrant une journée par semaine pour me former à travers la visite de classes Freinet et, par voie de conséquence, des retraits de salaires correspondant à ces dites absences.

    Cet engagement, je ne le démentis jamais à travers mes trente années de carrière (eh oui, déjà !) car je découvris la passion du métier d’enseignant à travers la recherche, la coopération, l’expérimentation et la co-formation permanente.

    Je poursuivis cet engagement par diverses responsabilités au sein de l’Icem-pédagogie Freinet (Institut coopératif de l'École moderne), dans la coordination des éditions Icem, puis dans la formation en devenant formateur à mi-temps à l’IUFM et en coordonnant un module autour des pédagogies innovantes à l’université Sciences de l’éducation. C’était au temps pas si lointain d’ailleurs où il était encore possible de parler innovation et pédagogie dans ce lieu de formation et où celle-ci avait encore un semblant de cohérence.

    Autant il est relativement facile de s’engager lorsque les vents sont porteurs, autant cela devient quelque peu difficile par des vents contraires ; c’est ce qui s’est passé à partir de 2008 avec la succession de réformes de notre ministère, heureusement aujourd’hui au passé. Et pourtant, c’est bien là qu’il fallait s’engager à travers le refus de réformes qui ont fait régresser notre idéal d’école : refus des programmes 2008 basés sur des soi-disant fondamentaux on ne peut plus critiquables ; refus du fichage notamment par le biais du fichier Base-élèves ; refus des évaluations nationales nouveau signe de libéralisation de notre système éducatif transformant les élèves en pourcentages chiffrés ; refus du livret personnel de compétences assurant la traçabilité de notre jeunesse ; refus de la disparition des Rased (Réseau d'aides spécialisées aux élèves en difficulté) et de soutien aux élèves et par là même de la mise en place de l’aide personnalisée engageant les élèves en difficulté vers une double peine stigmatisante avec du temps scolaire en plus rien que pour eux ! Et j’en passe, tellement l’accumulation anarchique de réformes nous a pollués ces dernières années et détourné des enjeux réels.

    L’engagement est alors devenu vital à travers une désobéissance fondée sur une éthique professionnelle lucide et responsable. C’est en tout cas les points d’appui que nous avons eu à notre disposition pour contrer l’infantilisation à laquelle nous avons été soumis par la voie d’une hiérarchie servile. Ce n’est pas sans nous rappeler d’ailleurs les pires moments de notre histoire lorsque les fonctionnaires ont joué le jeu de leur administration au nom d’une obéissance aveugle.

    Le malheur est justement ce que nous avons observé durant ces piètres années pour l’Ecole, certes avec des enjeux très différents mais avec malheureusement de nombreux parallèles. D’ailleurs, n’est-ce pas les résistants d’hier et d’aujourd’hui qui nous ont assuré de leur entier soutien à travers leurs différents engagements (Stéphane Hessel, Raymond Aubrac, etc.).

    C’est en tout cas à cette résistance que je me suis attelé, avec d’autres, sur ces dernières années. Cela m’a coûté mon poste à l’IUFM suite à un blocage de la part de l’Inspecteur d’académie pour « mauvaise manière de servir ». Cela m’a coûté, comme à de nombreux enseignants résistants, des pertes de salaires importantes (retraits de salaires lors de la non-obéissance aux évaluations nationales, non-réception de la prime). On m’a honoré d’un blâme… en passant tout près d’un conseil de discipline. Cela a failli me coûter mon poste de directeur d’école, alors que je prenais la direction d’une nouvelle école qui, en trois ans, était passée de 4 à 6 classes. Et fait de hasard… ou de circonstance… cette école se nomme « École Lucie-Aubrac », en l’honneur à cette résistante hors normes qui a asséné toute sa vie que « Résister est un verbe qui se conjugue au présent ». Alors, cette maxime est devenue la mienne et est fièrement affichée dorénavant à l’entrée de l’école.

    Il apparaît donc clairement que l’engagement coûte… il a coûté et il coûtera à tout individu qui ose dans sa vie, sur son lieu de travail, résister en s’engageant pour un idéal, pour des valeurs. Il faut la distinguer de la résistance passive qui a toujours été présente dans notre histoire mais bien souvent pour en empêcher toute avancée. J’ai toujours envisagé, avec mes collègues désobéisseurs, la résistance pour et vers l’action. Résister, c’est agir au quotidien, c’est s’engager pour faire vivre des valeurs, celles qui nous ont fait travailler dans un service public, en particulier pour nous dans le service public d’éducation, celui qui a valeur à éduquer tous les jeunes, à ce qu’ils apprennent à travers la construction d’une estime de soi, d’une citoyenneté active, d’un savoir émancipateur.

    Alors, depuis ces dernières années, je suis intervenu dans de nombreux débats, souvent d’ailleurs à l’initiative de parents d’élèves, pour montrer justement les dangers de certaines réformes dans le service public d’éducation, comme dans les autres services publics. J’utilisais la métaphore de la grenouille, celle qui montre qu’on nous englue, qu’on nous étouffe aujourd’hui à petit feu pour ne pas voir que cette succession de réformes contribue à un projet de société libérale dans laquelle des populations entières seront délaissées.

    Je me suis impliqué dans le mouvement de résistance pédagogique pour faire savoir à nos collègues le jeu qu’on nous faisait jouer ; ce travail de sape est difficile car la souffrance, l’isolement actuel du monde enseignant ne font que s’accentuer et notre hiérarchie a une réelle responsabilité dans cet état de fait.

    Nous avons lancé les contre-animations pédagogiques qui semblent aujourd’hui un moyen pertinent pour permettre aux enseignants de reprendre en main leur propre formation à travers la co-formation sur les réelles problématiques du monde enseignant d’aujourd’hui que sont, par exemple, les problèmes liés à l’hétérogénéité des classes et à la difficulté scolaire, à l’autorité des enseignants dans la classe, au manque de motivation des élèves, à la souffrance au travail…Résister pour une Autre école

    Elles sont facilement réalisables en coordination entre résistance pédagogique et les mouvements pédagogiques ; pour notre département, l’initiative a été reprise par le mouvement Freinet de Loire-Atlantique. Nous savons aujourd’hui que le monde enseignant a changé ; le profil des nouveaux enseignants est différent, l’administration a renforcé des rouages intermédiaires fondés sur l’injonction pour maîtriser l’ensemble d’un système bien verrouillé. Malgré cela, il est possible de montrer, et c’est ce que nous avons fait, que tout enseignant peut et doit conserver une réelle autorité sur son métier, qu’il peut s’autoriser à nouveau à exercer celui-ci de manière éthique et responsable avec comme fil conducteur incontournable, l’action dans l’intérêt des enfants, des jeunes… et non les pressions administratives qui n’ont comme seul intérêt de faire fonctionner une machine infernale qui a vocation à définir une école libérale et inégale.

    Militer, enseigner, s’engager, c’est possible ; c’est même devenu plus qu’urgent. Mais il faut rompre avec toute injonction de notre administration. Nous ne sommes pas seulement des agents de l’État ; il est temps de retrouver ce que nous n’aurions jamais dû lâcher : notre autorité sur notre métier, notre rôle d’acteur à part entière.

    Les modes d’action sont divers. À chacun de saisir celui qui lui sera possible de tenir. Cela a été durant la période 2008-2012 de la contestation ouverte et affichée (c’est celle que nous avons tenue avec certains depuis le début…), à la contestation larvée qui met des grains de sable dans la machine, ne pas renvoyer les chiffres d’évaluation, ouvrir l’aide personnalisée à tous les élèves, à la contestation affirmée dans son conseil de maîtres, donner son avis sur les réformes en cours, poser des questions, faire voter les motions en cours, appeler le débat au sein de son équipe, jusqu’à la participation à toute forme d’action qui montre que nous ne sommes pas tous devenus des enseignants serviles et infantilisés participation aux contre-animations pédagogiques, prise de parole dans les animations institutionnelles.

    L’action aujourd’hui reste à se concrétiser face à une soi-disant refondation de l’école qui n’en reste qu’aux vœux pieux et aux bonnes intentions déjà tellement édulcorées du sens premier qu’on pouvait envisager dans une refondation. Il nous reste par conséquence à poursuivre notre action face à l’ère du fichage généralisé en refusant le fichier Base-élèves et tous les autres ; à s’autoriser à se co-former hors cadres institutionnels dépassés ; à mettre l’enfant, le jeune au cœur des dispositifs reconnaissant enfin les rythmes propres à chacun ; à œuvrer dans la construction de programmes sensés ancrés sur des savoirs, savoir-faire, savoir être dont l’objectif est de former des citoyens cultivés, coopératifs et émancipés ; mais surtout à agir dans notre quotidien pour que la classe ne soit pas qu’une succession de monologues enseignants soi-disant transmetteurs de savoirs.

    Tel est l’enjeu d’une réelle école populaire et émancipatrice.

    François Le Ménahèze, enseignant, directeur d’école

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    Article paru dans le journal "l'Age de Faire"

     

    S’indigner aujourd’hui …pour résister !

    L’exemple de l’Ecole

     

    Aujourd’hui, l’école est mise à mal, et par là même l’éducation de toute notre jeunesse. L’école républicaine, fondée sur des valeurs de liberté, d’égalité, de solidarité, d’émancipation est en train de vivre des heures noires. Elle le doit à un ministère qui semble aujourd’hui vouloir aller jusqu’au bout de sa logique libérale. La succession, disons plutôt l’accumulation, de réformes depuis quelques années dans l’école est impressionnante.

    On pourrait se dire que celles-ci vont au moins pouvoir changer l’école en profondeur, ce dont elle a bien besoin j’en conviens. Mais non, elles entament un travail de sape, de,démantèlement des valeurs même de cette école publique qui est sans précédent. En voici quelques exemples :

    -Programmes 2008 recentrés soi-disant sur les fondamentaux que sont le français et les mathématiques.

    C’est nier tout ce qui fait la valeur du savoir, de la culture dans sa globalité. On apprend à lire, écrire, compter. Le reste ce sera pour nos élites !

     -Suppression de postes, dont notamment au sein des rased (réseaux d’aide aux élèves en difficulté) avec effets directs de nier les problématiques liées à la difficulté scolaire qui, on le sait concerne une certaine frange de la population.

    -Une semaine scolaire organisée en quatre jours qui nie totalement le bon sens et toutes les recherches sur le rythme de l’enfant ; on y alourdit la journée scolaire, on condense encore plus la semaine scolaire, on ajoute du temps scolaire pour seulement les élèves en difficulté ; ceux qui sont déjà bien perdus toute la journée, on leur inflige une double peine ! Du toujours plus, non pas pour gagner plus, mais pour renforcer encore davantage chez ces jeunes, des stratégies d’évitement.

    -Des évaluations nationales (en CE1 et CM2) qui engendrent la culture du chiffre, du pourcentage, de la comparaison entre écoles, de la compétition larvée. Cette culture de l’évaluation est d’ailleurs en train de se mettre en place aujourd’hui dans l’ensemble des services publics.

    Le programme de la résistance créé au sortir de la guerre par nos anciens compagnons résistants tentait de mettre en place une société fondée sur des valeurs dont celle de l’intérêt général. Les personnels de ces services publics disposaient donc d’une ligne directrice : se mettre d’abord et avant tout au service du public, de toute personne quelque soit son origine, ses moyens. Cet esprit est déjà en train de passer dans les oubliettes lorsqu’on observe aujourd’hui le démantèlement en règles de ces services publics avec une culture du chiffre, du résultat, de la rentabilité, de la compétitivité, de l’ouverture à la concurrence…peu importe le service réel aux personnes. Et bien sûr l’école n’échappe pas à ce cercle vicieux.

    -Le fichage généralisé qui se propage à une vitesse vertigineuse : tout enfant est aujourd’hui fiché dès son plus jeune âge via le fichier Base élèves dans les écoles primaires et via bien d‘autres fichiers sur la suite de la scolarité. La dernière invention de notre ministère est d’aller jusqu’au bout en infligeant un Livret Personnel de Compétences qui suivra tout jeune de 3 ans jusqu’à la fin de sa scolarité via un fichier numérique. Numérisation au service de la traçabilité pour une meilleure employabilité, voilà ce qu’on offre aux jeunes aujourd’hui pour trouver leur voie !

     On pourrait poursuivre encore longtemps la litanie de mesures abscondes et empreintes d’une odeur plus que nauséabonde.

    Alors oui il faut aujourd’hui s’indigner comme nous le rappellent nos prédécesseurs. Pourquoi d’ailleurs aujourd’hui les anciens résistants remontent à notre souvenir ? Tout simplement parce qu’ils voient en cette évolution un retour en arrière des valeurs propres à leur combat pour la liberté.

    Stéphane Hessel nous rappelle dans « Indignez vous ! » : « La Résistance en appelait à la possibilité effective pour tous les enfants français de bénéficier de l’instruction la plus développée, sans discrimination ; or, les réformes proposées en 2008 vont à l’encontre de ce projet…. C’est le socle des conquêtes sociales de la Résistance qui est aujourd’hui remis en cause. »

    C’est donc ainsi que nos prédécesseurs nous ont permis de faire le lien entre la résistance d’hier et celle indispensable d’aujourd’hui. Même si les contextes n’ont rien à voir, les ponts et les luttes ne peuvent que se rejoindre sur le plan des valeurs.

    C’est d’ailleurs ce qu’ont entrepris un certain nombre d’enseignants. Nous avons en effet décidé de nous indigner face à ces mesures archaïques qui touchent aujourd’hui l’école pour nous engager dans la désobéissance, dans la résistance.

    La tâche n’est pas simple, surtout dans un milieu où l’obéissance est intégrée depuis bien longtemps. On sait également que lorsqu’on entre sur cette voie, les menaces, les pressions, les sanctions ne sont pas loin. Nous avons donc subi depuis quelques années une kyrielle de sanctions que nous n’avions plus vues depuis bien longtemps dans l’Education nationale. J’ai moi-même été démis de mon poste de formateur à l’IUFM pour « mauvaise manière de servir » ; j’ai subi comme nombre de mes collègues des retraits de salaire pour évaluations chiffrées non remises à mes supérieurs hiérarchiques ; j’ai subi comme d’autres directeurs de fortes pressions pour non fichage des élèves de mon école sur le fichier numérique Base élèves avec menaces de déplacement d’école ; des collègues ont d’ailleurs été démis de leur fonction pour cette raison. J’ai été sanctionné d’un blâme pour refus d’obtempérer ; des collègues sont allés en conseil de discipline avec sanctions financières et catastrophes humaines.

    Tout cela pour quoi ? Pour peut-être pour pouvoir encore nous regarder dans un miroir la tête haute et dire à nos enfants que nous avons tout fait pour préserver des valeurs à notre société.

    Nous sommes épaulés en cela par nos « anciens » ; Hessel nous l’affirme encore une fois dans « Indignez

    vous » : « De jeunes enseignants dont je soutiens l’action ont été jusqu’à refuser d’appliquer les réformes et ils ont vu leurs salaires amputés en guise de punition. Ils se sont indignés, ont « désobéi », ont jugé ces réformes trop éloignées de l’idéal de l’école républicaine, trop au service d’une société de l’argent et ne développant plus assez l’esprit créatif et critique ».

    Nous savons que toute lutte de ce type reste le combat de la légitimité contre celui de la légalité. Nous en avons bien conscience, il est le même que nos prédécesseurs. Nous savons que nous prenons des risques mais ils font partie inhérente d’une fonction qui n’est pas anodine, celle d’éduquer, d’instruire des enfants, les futures générations. Et cela, on ne peut se brader au plus offrant, au règne de la compétitivité et du résultat !

    Notre fil conducteur dans cette lutte pour faire perdurer une école de la coopération, de l’entraide, d’une place pour tous, d’une émancipation par l’école, est notre éthique professionnelle. Non pas une éthique comme voudrait nous l‘imposer notre hiérarchie d’un bon fonctionnaire bien obéissant et servile à chaque injonction, mais bien une éthique professionnelle lucide et responsable, appuyée sur des valeurs qui font toute l’essence même de notre métier.

     

    François Le Ménahèze,